Le web, vaste monde où le meilleur côtoie souvent le pire. Comme dans la vraie vie en fait. Au royaume de l’humour, Rémi Gaillard est sans doute le plus connu, la figure historique de la farce francophone.
Internet, ou une façon de diffuser ses blagues à peu de frais : une caméra fixe, du talent dans le meilleur des cas, et c’est parti. Sans contrainte de durée ni de résultat, l’imagination est la seule limite.
Un univers que les gens d’un certain âge ne peuvent soupçonner, définitivement trop vieux pour ces conneries.
Phénomène de mode sans doute, mais phénomène qui dure. Parce que oui ça marche, ça cartonne même. Sans doute en France plus que partout ailleurs – Etats-Unis compris. Peut-être parce que l’américain trouve encore son compte à la télé. Visiblement, c’est moins le cas dans l’hexagone. Mais est-ce vraiment une surprise au pays de Joséphine ange gardien?
Chose complètement improbable il y a encore quelques années, il est même désormais possible d’en vivre. D’en tirer un certain revenu en tout cas. Principale différence avec les estimations des audiences tv : les vues comptabilisées représentent bien l’audimat réel. Et c’est là qu’on réalise qu’il y a deux millions de personnes dans la chambre de Norman… Avec le temps, des projets créatifs et ambitieux voient de plus en plus le jour, notamment sous la houlette du studio Bagel et de Suricate.
Naturellement, les grands groupes n’ont clairement pas envie de passer à côté de ce marché juteux et commencent à miser sur quelques protégés.
Un secteur en plein essor donc, susceptible d’attirer de plus en plus de jeunes auteurs. Une bonne raison pour l’Accompagnement des Compétences Audiovisuelles de Wallonie (aka ACA pour les intimes) d’organiser une rencontre exceptionnelle avec deux experts en la matière, Bruno Muschio et François Descraques. Qui?
Bruno Muschio, alias Navo, c’est l’autre mec de Bref. Celui qui a plus de cheveux. Mais pas moins de talent. Artiste aux multiples facettes, il est le co-créateur, co-auteur, coréalisateur de la dernière série star de Canal+ avec Kyan Kojandi, son fidèle complice.
Bref, c’était l’histoire d’un mec normal qui parle vite, très vite. Et qui vit des histoires drôles, très drôles. Mais pas que.
Un programme court avec des ambitions et des influences cinématographiques assumées : Klapisch, évidemment et par-dessus tout, mais aussi Fight Club, Les lois de l’attraction, Cours Lola Cours,….
Bref, ou l’instantané d’une époque, hype parce que tout le monde a décidé de regarder en même temps.
Véritables control freaks, ses créateurs ont eu l’intelligence de ne pas s’éterniser après deux saisons et un concept copié ad nauseam sur la toile.
Notre leitmotiv depuis le début était de surprendre, vous comme nous et nous avons maintenant le sentiment, l’intime conviction que le dessin est fini et qu’il serait dommage de colorier la table (Kyan Kojandi et Bruno Muschio)
Aux manettes, Navo donc, un touche à tout curieux voire un curieux touche à tout : autodidacte, auteur pour lui, plume pour les autres (entre autres pour Kyan Kojandi, Golden Moustache, Greg romano, Sebastian Marx, Shirley Swagnon), créateur d’un blog à pas concept (la bande pas dessinée), animateur sur sa webradio (les invités de mon invité sont mes invités), scriptdoctor, parolier récent sur le dernier album de la sublime Emilie Simon,…
Bref, un auteur très intéressant et pas besoin de 140.000 caractères pour le dire.

Acteur majeur de la web série, le Visiteur du Futur se définit comme une succession de catastrophes, d’effets papillon et de paradoxes temporels
François Descraques vient lui de la publicité. Raconteur d’histoires et cinéphile depuis toujours, amateur entre autres de Blade Runner et Terminator. Sans oublier Retour vers le futur. Un garçon éminemment sympathique donc. En 2009, il crée un blog au nom sans équivoque : frenchnerd.com. L’aventure peut commencer.
Je me suis dit qu’il fallait que je le fasse par moi-même. Et le seul endroit où on peut créer des séries sans avoir à demander l’autorisation de personne, c’est sur le Net.
Sa production emblématique : Le visiteur du futur. Créateur jusqu’au bout des ongles, François Descraques écrit, réalise et monte l’ensemble des épisodes. Série sf fauchée par obligation, réalisée avec peu de moyens mais beaucoup d’idées, elle va vite trouver un public. Parfois au prix de quelques malentendus (prix du court métrage écolo) et notamment à la suite d’un coup de pouce de Dailymotion à l’époque où le site était encore populaire. C’était il y cinq ans, une éternité à l’heure du web.
Le reste fait partie de l’histoire de la web série francophone : repérée par la chaîne Nolife avant d’être coproduite respectivement par Ankama (studio transmédia, notamment le jeu vidéo Dofus) et le département Nouvelles Ecritures de France Télévision pour une diffusion nationale sur France 4.
D’une blague potache bricolée entre potes aux derniers épisodes tournés, l’évolution est nette et saisissante. Au cours des quatre saisons, la série nous aura offert de beaux moments et de vraies découvertes (on s’en voudrait notamment de ne pas mentionner la très jolie et très rousse Justine Le Pottier).
Une vraie success story à la française avec plus de vingt millions de visionnages cumulés, excusez du peu.

Longtemps décrié, le geek est désormais au top de la hype. De gauche à droite : Francois Descraques, Navo et Rudy Lamboray, photographe qui s’est mué pour l’occasion en animateur espiègle et efficace. (photo ACA)
Namur, Palais des Congrès, un lundi soir de février.
Sur scène : deux auteurs, un animateur, une table, un micro et une bouteille d’eau.
Dans la salle, 250 spectateurs : des auteurs, des cinéastes en herbe, des curieux, des chômeurs, des blogueurs occasionnels. Des jeunes, des beaucoup moins jeunes aussi. Des gens qui feront des grandes choses quand ils auront trouvé lesquelles.
Pendant deux heures qui vont passer très vite, François Descraques et Navo sont là pour parler de leur métier et expliquer leur monde. Le tout en totale décontraction. Méchamment drôles, mais jamais méchants, les deux compères ont le verbe et la vanne faciles.
Issus d’univers différents, leurs dénominateurs communs ne manquent pas : passion, humour, partage, sincérité…
Dans le public, ça écoute attentivement, ça prend des notes, ça tweete à tout va et ça surfe sur le net pour chercher des infos. Ça joue à Candy Crush et 2048 aussi, forcément.
C’est peut-être un détail pour vous mais pour moi ça veut dire beaucoup : au niveau des influences, aucun humoriste francophone récent n’est cité. Pas vraiment une surprise tant on ose imaginer le manque de répartie d’un Titof devant la tombe de Pierre Desproges.
A un moment, il faut décréter qu’on est auteur et s’en donner les moyens, pas attendre d’avoir un contrat qui le stipule (Navo)
L’humour sur internet, humour geek? Sans doute un peu, parfois. Humour sans frontière surtout, où la curiosité est la seule limite… Génération web? Soit, ce n’est pas pire que les enfants de la télé.
Le passage tv justement, n’est plus une fin en soi. De l’aveu même de François Descraques, le Visiteur du Futur n’a pas vraiment sa place sur France 4. On peut désormais exister sans être diffusé sur le tube cathodique.
Un auteur, c’est quelqu’un qui réfléchit beaucoup, qui se pose énormément de questions, au point de reculer le moment d’écrire, de se lancer (François Descraques)
Depuis la nuit des temps, l’homme a toujours trouvé un support pour raconter des histoires, que ce soit sur les murs d’une caverne ou sur les bancs de l’école- de préférence bien au fond de la classe à côté du radiateur. A l’avenir, on ne peut qu’espérer l’arrivée de projets novateurs ne recherchant pas la vanne à tout prix.
En ce sens, le Visiteur du Futur est sans conteste un précurseur. Maladroit par instants, mais dont la passion transpire de chaque scène.
Tu ne deviens pas bon en essayant d’être bon. Tu deviens bon en essayant de faire quelque chose qui t’oblige à être bon (Navo)
La rencontre se termine sur une dernière question. Comment savoir quand une blague vaut la peine d’être tournée? Vaste question à laquelle il n’y a pas de réponse toute faite. Il faut tenter, s’écouter et rester spectateur critique de son travail.
Il y a mille et une raisons pour que ça foire. La seule raison valable de s’en vouloir : ne pas essayer. On peut tromper mille fois un homme regretter mille choses, mais pas d’avoir agi.
C’est sur ces sages paroles que la conférence se termine. Après avoir bu la bouteille d’eau à presque lui tout seul, Navo a un besoin urgent. Et si c’était ça créer, juste un besoin naturel. Comme une envie irrépressible de pisser s’exprimer.
Sur le Web
Navo https://soundcloud.com/radionavo/ http://www.labandepasdessinee.com, http://www.140000caracteres.wordpress.com
François Descraques http://www.frenchnerd.com https://www.youtube.com/user/watchthevisitor/playlists
Le site l’Aca : http://aca-wallonie.be/
Initialement posté le 01 mars 2014