Médor n’est pas que le nom d’un chien. C’est aussi celui d’un projet un peu fou : un nouveau magazine coopératif trimestriel d’enquêtes et de récits en Belgique francophone. L’ambition étant de faire (re)vivre un journalisme d’intérêt public. Médor, un périodique qui n’est pas là pour fermer sa gueule. Utopique? Peu importe. Aujourd’hui, sans doute plus que jamais, le citoyen a besoin de comprendre le monde qui nous entoure. Et ce n’est pas évident.
Le métier de journaliste, comme les autres, est en pleine mutation. Le temps d’Internet est celui de l’instantané, une actualité chassant l’autre à la vitesse d’un simple clic, le passé et le futur se confondant dans un présent insaisissable. Le traitement actuel de l’info conduit à mettre la majeure partie de l’actualité courante sur le même plan. S’en suit une lente mais réelle perte de hiérarchie de l’information. Un goût pour des news de plus en plus triviales ou anecdotiques, qui seront légitimées par les « like » et autres « retweet ».
Il y a deux sortes de journalistes : ceux qui s’intéressent à ce qui intéresse le public ; et ceux qui intéressent le public à ce qui les intéresse – et ce sont les grands – Gilbert Cesbron
Dans ce climat, il est frappant de constater que les journalistes des médias historiques (frustrés de l’évolution de leur profession?) apportent un soutien massif à Médor. Et le petit nouveau en a bien besoin. Forcément, un magazine d’investigation, ça dérange. Médor est déjà interdit juste avant la diffusion en librairie de son premier numéro.
les procès, une des principales formes de censure qui pèsent aujourd’hui sur la presse des pays démocratiques – Jean-Paul Marthoz, cité, tel un mauvais présage, dans l’édito de Médor
En cause, une enquête fleuve sur une success story à l’américaine belge : Mithra Pharmaceuticals. La société liégeoise a introduit une requête unilatérale en référé visant à interdire la publication et la diffusion d’un article édité par Médor. Le tout sur base d’un simple résumé paru sur le site web du nouveau venu. Mithra a tout simplement demandé et obtenu du juge des référés l’interdiction de la vente du magazine, momentanément on l’espère. Le nouveau titre devait sortir officiellement ce vendredi 20 novembre en librairie. Médor parle de censure et conteste les accusations.
La rédaction a répondu aux premières plaintes de François Fornieri (dirigeant et co-fondateur de Mithra) en l’invitant à donner sa version des faits et à commenter l’article en question. Ce qu’il a refusé de faire, prétextant qu’une société cotée en Bourse n’avait pas à faire ce genre de commentaires…
La presse est libre ; la censure ne pourra jamais être établie – article 25 de la constitution
La Constitution est claire: un juge ne peut pas interdire au préalable une publication de presse écrite ou la diffusion d’un reportage radio ou télévisé.
Une chose est sûre, c’est une vraie tuile pour le démarrage d’un titre à l’avenir incertain. Se défendre juridiquement, cela exige des moyens financiers importants. Moyens dont disposent sans nul doute Mithra. Plutôt qu’une mise en bière précoce, il est à espérer que cette affaire ait une issue positive et serve à mettre en lumière un nouveau journal engagé, qui prône et défend des valeurs importantes (d’indépendance, de liberté…). Qu’un effroyable coup de pute de communication de Mithra se transforme en extraordinaire coup de pub pour Médor. Même si on imagine aisément que les fondateurs de Médor se seraient bien passés d’un tel démarrage.
Il doit exister en Belgique une place pour un journalisme d’investigation et de conviction.
Abonné parmi 1500 autres, l’auteur de ces lignes a pu recevoir son numéro avant que la plainte ne soit déposée. L’enquête est fouillée et approfondie, Médor tient ses promesses de lancement. D’autres internautes citoyens ont déjà scanné et diffusé largement l’article incriminé. Par choix, ce ne sera pas le cas ici. Ce serait évidemment différent si par malheur la censure devait être confirmée. On n’ose y penser.
Au juge de décider ce mardi 24 novembre. Juridiquement, la plainte n’est visiblement pas fondée. Moralement, le verdict ne doit faire aucun doute. La pilule serait impossible à avaler en cas de censure définitive.
Alors, dès sa sortie officielle, lisons Médor et surtout, restons curieux… les yeux grand ouverts
Médor : https://medor.coop/fr/
Dans le vacarme assourdissant des Tweets, ça devient difficile de penser. Ca fait du bien que certains aient encore le courage d’essayer.
(Tiens, j’ai presque écrit un Tweet ) 😉